Tantôt salué, tantôt critiqué pour sa décision de faire basculer son entreprise d’outsourcing définitivement au télétravail, Youssef Chraïbi défend ce qui, pour lui, constitue une “tendance d’avenir”.
Qu’est-ce qui a motivé votre décision de passer définitivement au télétravail?
Le confinement a incontestablement joué un rôle d’accélérateur du télétravail comme cela arrive souvent durant des crises majeures qui révèlent des tendances émergentes et les transforment en nouvelles normes d’usages. Je vous rappelle brièvement la genèse de cette décision: la priorité au départ était d’assurer une sécurité sanitaire pour nos collaborateurs. En quelques jours, nous avons dû travailler sans relâche pour installer plusieurs centaines de postes de travail dans les domiciles de nos collaborateurs afin de garantir le maintien de leur activité et d’assurer une continuité de service à nos clients, qui avaient encore plus besoin de nous à un moment où le support à distance est essentiel, compte tenu de l’interdiction des interactions physiques. Nous nous sommes rendu compte après quelques semaines que, face à cette contrainte, les aspects positifs étaient très nombreux.
On dit souvent que l’adversité nous pousse à nous réinventer. On a clairement pu en faire l’expérience. On a ainsi découvert de nouvelles opportunités. D’abord pour nos salariés, une meilleure qualité de vie, une meilleure organisation entre temps de travail et temps personnel, une réduction du temps et des frais de transport et de repas. Puis pour nos clients, une solution pérenne de continuité de service. Enfin on s’est rendu compte que le modèle du télétravail pouvait également être synonyme de meilleure performance économique pour l’entreprise. Au moment où je vous parle, 90% de nos collaborateurs au Maroc sont en télétravail. Nous ne voyons aucune raison pouvant justifier de mettre fin à ce modèle qui nous semble vertueux même après la fin des restrictions liées à la crise sanitaire.
Qu’en est-il du fondement juridique de votre décision? Selon l’Association des centres d’appels et services informatiques offshore du Maroc (ACASIOM), il n’y aurait pas actuellement de cadre juridique pour pouvoir prendre une telle décision...
Le cadre juridique du télétravail n’est pas encore défini au Maroc certes, mais cela ne veut absolument pas dire que le télétravail est interdit. Cela veut seulement dire qu’en l’absence de textes, ce sont les aménagements contractuels qui vont prévaloir. Nous ne pouvions de toute façon rien envisager sans obtenir au préalable le consentement de nos salariés. Ainsi seuls les collaborateurs qui en font librement la demande et dans les cas où cela est possible peuvent signer un avenant à leur contrat de travail définissant de façon précise les conditions et les droits associés à ce mode de travail, tout en observant le total respect de la législation du travail et des lois en vigueur en matière de couverture sociale. Nous nous sommes également assurés des modalités de contrôle des horaires de production sans que la solution ne soit invasive pour leur vie privée.
Par ailleurs je suis heureux de vous annoncer que notre association professionnelle, l’Association marocaine de la relation client (AMRC), qui représente depuis 2003 la quasi totalité des acteurs majeurs de la relation client au Maroc, va publier d’ici peu de temps une charte d’intention pour la promotion et la mise en oeuvre du télétravail au Royaume, précisant l’ensemble des principes et engagements de nos membres. Je vous rappelle enfin que c’est notre même association, l’AMRC, qui fait partie du comité ad hoc créé au sein de la Confédération générale des entreprises du Maroc (CGEM) et qui va finaliser dans les semaines qui viennent un projet de texte devant encadrer l’exercice du télétravail dans le secteur privé au Maroc, qui pour information fait suite également au projet de décret encadrant le télétravail pour les fonctionnaires qui a été rendu public le 27 mai. Les rares détracteurs du télétravail comprendront je pense assez rapidement qu’ils vont contre le sens de l’histoire. Cela ne fait pas l’objet d’un débat, il s’agit simplement d’une nouvelle liberté qui est donnée.
Vous dites avoir informé les salariés, mais qu’en est-il de l’inspection du travail? A-t-elle également été tenue au courant?
Oui, bien entendu. Il me semble d’ailleurs qu’il s’agit d’une obligation.
Selon vous, le télétravail apporte une meilleure qualité de vie aux salairés. Mais d’aucuns, notamment au niveau de l’Organisation internationale du travail (OIT), estiment qu’au contraire travailler là-même où on vit ne serait pas tout le temps bénéfique.
Tous nos collaborateurs qui ne trouvent pas le télétravail bénéfique ne feront pas ce choix et retrouveront leur poste en présentiel à la suite du confinement. Nous n’imposons rien. Ceux à l’inverse qui y verront plus d’avantages l’adopteront en toute liberté et auront la possibilité de changer d’avis après quelque temps s’ils le souhaitent. Ce choix n’est pas irréversible. Notre innovation, c’est justement de laisser à nos collaborateurs en permanence la liberté de choisir ce qui convient le mieux à leurs envies, leur mode de vie et à leurs contraintes qui peuvent évoluer. Nous estimons aujourd’hui qu’environ 50% de nos collaborateurs feront le choix permanent du télétravail.
Rappelons par ailleurs que nous avons privilégié une solution alternant télétravail et présentiel permettant justement de maintenir le lien social avec les managers et les collègues, grâce à un rythme régulier de visite sur site. Je rappelle enfin que ce nouveau mode de travail pourra offrir des emplois à toutes les personnes éloignées des principaux pôles économiques du Royaume et en particulier aux très nombreuses femmes au foyer aujourd’hui. Je suis donc très confiant sur l’essor durable du télétravail dans notre pays, à l’image du développement qu’il a connu avec succès dans de nombreux pays du Nord. Il n’y aucune raison que notre pays reste à l’écart de cette tendance d'avenir.